mercredi 11 août 2010

"Dis-moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es (..)" Alain Mabanckou

Des pages et des pages internet sont consacrées au phénomène de la Sape. Un blog entier conviendrait. Moi qui souhaitais n'écrire que quelques lignes sur le dernier opus écrit par Alain Mabanckou, "Black bazar" et son adaptation théâtrale cet été au Lavoir Moderne par Modeste Nzapassara, me voila errant dans les méandres tortueux de la fine société des ambianceurs, les sapeurs.


La SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes) est à la fois encensée et blâmée. Blâmée car à première vue transparaît un culte des marques. Toujours cette question de la marque, l'étiquette cet affichage indécent, ostentatoire du prix. La Sape est d'autant plus choquante que ce sont les couches populaires de la société congolaise qui en sont les maîtres incontournables. Au milieu des bidonvilles de Brazzaville, des hommes chichement vêtus se pavanent avec délectation.

Mon féminisme inconscient m'oblige à rappeler également que ce mouvement que j'admire, n'est cantonné qu'à la gente masculine même si par ailleurs on y accepte l'élégance de tous âges. C'est donc un mouvement plein de contradictions qui fait à la fois horreur et admiration.

Ce courant a une histoire, c'est une guerre perpétuelle de plus de cent ans ! La légende conte que cet art de vivre serait né au retour de certains colonisés de Brazzaville en leur pays. Fortement impressionnés par l'habit parisien, ils sont rentrés chez eux les valises pleines de victuailles vestimentaires.

De Brazza à Kin en passant par Château Rouge et Bruxelles, régulièrement des sapeurs s'affrontent dans des légendaires battles. Ces sapeurs du quotidien nous émoustillent, nous impressionnent par leur candeur indolente, leur dandysme nonchalant. Ils ont la J.M Winston qui claque et le veston Dior négligemment ouvert sur la cravate Armani savamment nouée. On s'efface, on s'écarte, on admire la classe. Peu importe l'heure, l'endroit, le parler est haut, d'un saut, d'une tirade, le sapeur met à plat toute "apostrophade".

Bacongo/défilé Paul Smith, Printemps-été 2010
Il défile et t'enfile, hommage ultime sur les podiums de Paul Smith pour sa collection printemps-été 2010, inspiration flagrante et sans détour du style sapeur.

La sape, "c'est l'art de faire chanter les couleurs" selon Jocelyn Bachelor styliste d'origine congolaise qui face à l'indifférence des grands noms de la couture, s'est lancé dans sa propre ligne de vêtements, Connivence, pour satisfaire l'appétit insatiable de la clientèle sapeuse.

La Sape a pour science la Sapelogie dont son professeur-chercheur est Ben Mukasha alias Ben Cacharel. La Sapelogie, c'est le nirvana de la Sape, le Sapelogue selon Ben Mukasha est "celui qui connaît la griffologie, la vestimentologie, l'harmonisation et la trilogie des couleurs achevées et inachevées".
Car n'est pas sapeur qui veut, tout est codifié et réinventé sans cesse car l'originalité reste de mise.

La Sape est même étudiée en anthropologie, notamment par Brice Ahounou (anthropologue au Comité du film Ethnographique). Le sapeur fait renaître la tradition ancestrale de la parure. Être sapeur c'est ne pas être politiquement correct, c'est affronter l'autoritarisme politique et sortir de la convenue misérable.
La Sape éclabousse donc tout : stylisme, photo, littérature. Des reportages télévisés à la dizaine content le phénomène de la Sape ("Guetto millionnaires" de Gilles Remiche" ou encore "Tous les habits du monde en RDC" diffusés sur Arte).

Des expositions, des conférences lui sont dédiées. Dernièrement le musée Dapper (Paris) a consacré tout un week-end à la Sape au travers de projections, de débats (en présence de l'écrivain Alain Mabanckou), exposition photographique. La revue XXI a accordé également plusieurs pages à la Sape dans son édition du Printemps 2009 au travers de très belles photos d'Héctor Mediavilla (reportage à redécouvrir sur son site : http://hector.mediavilla.book.picturetank.com/).

Crédit photo : Héctor Mediavilla
Autre reporter- photo dont le travail sur les sapeurs a été récompensé par le prix Canon 2007, Daniele Tamagni. Son travail a été rassemblé dans le livre collector "Gentleman of Bacongo".


Mais la Sape est "réflecteur" de talents. Baudouin Mouanda en est un de ses nouvelles ambassadeurs, la photo est son arme.

Baudouin Mouanda himself by Baptiste de Ville d'Avray
 Ce jeune Congolais cotoie depuis toujours les sapeurs et d'un regard expert, il a su faire rejaillir le chatoiement chorégraphique des sapeurs et le résultat est bluffant.

Crédits photos : Baudouin Mouanba

 Enfin, les sapeurs ne sont pas les seuls maîtres en matière d'habillement et cela serait un grave affront de ma part d'omettre de citer les Swankas d'Afrique du Sud. Leur flegme, ils l'affichent les samedis soir lors de joutes chorégraphiques dans les sous-sols de Johannesburg face à un jury dithyrambique et un parterre de fans.

Leur gestuelle élaborée en a inspiré plus d'un, notamment Robyn Orlin, chorégraphe sud-africaine. Elle l'a repris dans "Dressed to kill… killed to dress" (interprétée le 21 juin 2010 lors de la fête de la musique à la Cité nationale de l'immigration).

A quand une battle Sapeurs-Swankas ?


Pour aller plus loin:
Lavoir Moderne http://www.rueleon.net/
Alain Mabanckou http://www.alainmabanckou.net/
Connivence: www.wafbu.com/connivences
Ben Mukasha http://www.sapologie-sapelogie.skyrock.com/
Musée Dapper http://www.dapper.com.fr/index.php
Daniele Tamagni http://www.photodantam.com/
Héctor Mediavilla http://hector.mediavilla.book.picturetank.com/
Marion Kameneff - Amabilia.com http://www.amabilia.com/contenu/societes/sec08_418.html

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